De l’autre côté de la vitre, assise dans un café, elle aimait regarder les gens vivre, un court instant. Elle observait ce Monsieur qui promenait son chien et se demandait quelle était sa vie, si quelqu’un l’attendait. Il y avait aussi cette maman pressée avec ses trois enfants, qui semblait à bout de force. Et ce vieux couple qui se tenait encore par la main : depuis combien d’années étaient-ils l’un à côté de l’autre, quelles avaient été les épreuves rencontrées et surmontées ? Elle aimait regarder vivre les passants et imaginer quelles étaient leurs vies.
De l’autre côté de la vitre, assise dans le bus, elle regardait le paysage urbain défiler, spectatrice d’un monde de béton dépourvu d’âme. Elle s’interrogeait : comment l’espèce humaine avait pu autant se perdre, au nom du progrès et du toujours plus ? Plus d’immeubles, plus de zones commerciales, plus de goudron et de bitume. Pour moins d’espace, moins de parcs, moins d’arbres. Moins de vivant.
De l’autre côté de la vitre, assise sur sa chaise de travail, prisonnière de ce bureau où elle passait 7 à 8 heures par jour, elle regardait les vertes collines au loin qui l’invitaient aux rêves et à l’évasion. Elle se demandait où étaient partis ses rêves d’enfant et ses projets. Résignée dans un monde dénué de sens et d’espoir. Mangée par le quotidien et sa routine. Anesthésiée par le manque d’envies et d’amour.
De l’autre côté de la vitre, assise dans son fauteuil, elle regardait la pluie tomber sans risquer de se faire mouiller. Elle s’imprégnait à distance de la mélancolie qui en émanait et imaginait les escargots de sortie par ce temps. Elle se souvenait de combien elle aimait être sous la pluie, avant. Avant, quand elle s’autorisait à vivre. Quand elle s’autorisait à être. Spontanée. Libre.
De l’autre côté de la vitre, debout, elle voyait sa vie défiler, spectatrice de ce qui se jouait. Depuis longtemps elle avait cessé d’être actrice de sa vie. Elle s’était retirée du devant de la scène depuis bien longtemps. Sclérosée par les conditionnements, les habitudes et la solitude. Immobilisée par ses peurs et projections.
Et un jour, par un matin brumeux et morne, elle eut envie de passer de l’autre côté de la vitre. Elle eut envie de se réveiller, de ne plus ressembler à ce triste paysage.
Elle eut envie de passer de l’autre côté de la vitre et d’être celle que les gens pourraient regarder vivre, d’être celle qui amènerait de la couleur à tout ce béton, d’être celle qui vit ses rêves et celle qui danse sous la pluie.
De l’autre côté de la vitre, elle décidait enfin de vivre. Et depuis, sa vie avait réellement débuté.
Très joli texte très poétique, les images parlent, les mots sonnent juste.