Il n’était pas rare que la petite fille se réveille avec en son creux une boule noire. La boule noire contenait toutes les tâches que la petite fille s’était fixée de réaliser au cours de la journée : ranger sa chambre, trier ses jouets, ranger ses habits propres dans l’armoire…
La petite fille ne pouvait prendre du temps pour jouer qu’une fois ces impératifs accomplis. La boule noire prenait le pas sur tout le reste et mangeait de l’intérieur la petite fille.
Aussi, la petite fille entreprenait de réaliser la liste des choses à faire qu’elle s’était fixée. Elle commençait par ranger sa chambre, puis triait ses jouets et rangeait les habits dans l’espace qui leur était dédié. Et au fur et à mesure de l’accomplissement de ces tâches, au lieu de diminuer, la boule noire grandissait. La petite fille se disait que ces tâches effectuées, elle pouvait se consacrer à d’autres. Elle pouvait aider sa maman à pendre la lessive, elle pouvait aussi aller brosser ses chaussures dont les semelles étaient boueuses, trier ses dessins, faire ses devoirs pour lundi prochain…Elle pensait se libérer du temps pour plus tard en effectuant ces différents impératifs et clamait à haute voix à chaque fois une tâche accomplie : « Une bonne chose de faite ! Cela en moins, j’aurai plus de temps pour jouer demain ! ».
Le soir venu, elle s’endormait satisfaite d’avoir accompli autant de tâches, sans avoir pris le temps de jouer et de s’évader. Elle pensait que la boule noire ne serait pas présente à son réveil le lendemain.
Le lendemain matin, elle sentait à nouveau la boule noire en elle. Plutôt que de l’ignorer ou de la mettre de côté pour cette nouvelle journée, elle l’écoutait et agissait en fonction de ce qu’elle lui dictait de faire. La même journée se reproduisait et la petite fille, le soir venu, se disait « Avec tout ce que j’ai fait aujourd’hui, demain je pourrai jouer un peu ! ».
Le lendemain matin, la boule noire était de nouveau là…
La petite fille, en nourrissant quotidiennement sa boule noire, ne faisait que lui donner plus d’attention et lui donnait une légitimité de plus en plus grandissante. Et ne laissait aucune place pour l’amusement, l’évasion et les rêves.
La petite fille se réveillait épuisée chaque matin.
Ce matin-là, comme à son habitude, la boule noire était là, gesticulant dans tous les sens en attendant que son hôte vienne lui donner sa nourriture quotidienne. Mais, à bout de force, la petite fille n’avait pas envie aujourd’hui de l’écouter ni de la nourrir. Aussi, elle prenait un temps afin de scanner son être intérieur. C’est ainsi qu’elle découvrait la présence d’une toute petite boule blanche et chaude, une toute petite boule qui contenait l’envie de jouer et de faire du piano. La petite fille décidait alors de donner la priorité à cette petite boule qui demandait tout autant d’attention que sa jumelle, la boule noire. Au cours de cette journée, la petite fille allait aller sauter dans les flaques d’eau, allait jouer avec ses Lego et allait jouer un morceau de piano.
Le soir venu, elle s’endormait remplie de belles choses et de beaux souvenirs de cette journée d’amusement.
Le lendemain matin, elle pouvait sentir la présence des deux boules à parts égales. Elle décidait de renouveler l’expérience de la veille et de donner la priorité à la boule lumineuse.
Jour après jour, elle apprenait à donner de l’importance à ce qui l’était vraiment, c’est-à-dire prendre du temps pour profiter de sa journée, profiter de sa vie de petite fille.
Au fur et à mesure du temps, la boule noire avait rétréci et avait pris la place qui lui revenait. Sa présence était tout aussi légitime que la présence de la boule blanche, mais dans la juste mesure qui lui revenait. La boule noire rappelait à la petite fille qu’il y avait des tâches à accomplir, pas toujours plaisantes, mais qui faisaient partie de la vie. La boule blanche était un appel à profiter de cette dernière et en cela, elle était plus grosse que sa jumelle. Et chacune des deux boules rappelait l’importance de l’autre et participait à un équilibre, chacune à leur mesure.
Apaisée et heureuse, la petite fille pouvait désormais avancer sur le chemin de sa vie, et veillait à accorder plus d’importance à la boule blanche qui venait la nourrir d’une sensation de chaleur, ce qui avait pour effet de vouloir en prendre soin, jour à après jour.
Soyez le premier à commenter